© Julie Chetaille | pays de la loire juil 2014 | "Elle se met en route à travers le chantier, cent mètres de diagonale, sol caillouteux couleur plâtre, crissements de ses pas dans le silence, elle avance, passe les grues et les véhicules qui rutilent à l'arrêt, les baraquements bleutés, enjambe des couples de rails et contourne des citernes, la terre fume sur son passage, bientôt enfarine ses chevilles, pas une âme qui vive de ce côté-là, rien, c'est dingue, elle regarde sa montre machinalement, pense demain à la même heure on aura commencé, poursuit sur sa lancée, la gorge serrée, le pas de plus en plus ferme, silhouette précise dans le chantier tout propre, la main bientôt en visière à hauteur des sourcils, accélère, se répète les mots de Diderot, les maxillaires tendus par un sourire qui congestionne sa bouche puisqu'elle n'entrouvre pas les lèvres, trop fébrile elle aussi, donc il avait dit : le béton, Diamantis, c'est votre pré carré - elle avait hoché la tête avec sérieux, oui -, la centrale, les tours, les stocks, les toupies, tout ça, c'est vous - et il avait le geste ample et la voix forte, la regardait au fond des yeux, lui désignait sa place." Naissance d'un pont - Maylis de Kerangal
 
"Elle se met en route à travers le chantier, cent mètres de diagonale, sol caillouteux couleur plâtre, crissements de ses pas dans le silence, elle avance, passe les grues et les véhicules qui rutilent à l'arrêt, les baraquements bleutés, enjambe des couples de rails et contourne des citernes, la terre fume sur son passage, bientôt enfarine ses chevilles, pas une âme qui vive de ce côté-là, rien, c'est dingue, elle regarde sa montre machinalement, pense demain à la même heure on aura commencé, poursuit sur sa lancée, la gorge serrée, le pas de plus en plus ferme, silhouette précise dans le chantier tout propre, la main bientôt en visière à hauteur des sourcils, accélère, se répète les mots de Diderot, les maxillaires tendus par un sourire qui congestionne sa bouche puisqu'elle n'entrouvre pas les lèvres, trop fébrile elle aussi, donc il avait dit : le béton, Diamantis, c'est votre pré carré - elle avait hoché la tête avec sérieux, oui -, la centrale, les tours, les stocks, les toupies, tout ça, c'est vous - et il avait le geste ample et la voix forte, la regardait au fond des yeux, lui désignait sa place."
Naissance d'un pont - Maylis de Kerangal